21 mars 2006

Eloge funèbre de Marcel BERJON

par Michel TAVERNIER

 

à Marcel, mon Ami,

En ce lieu saint, l’église d’ANGLADE, presque ton église de famille, parler de toi, Marcel, c’est d’abord dire que là tu as été appelé au peuple des baptisés. C’est juste de reconnaître qu’en l’époque ta volonté n’avait pas été sollicitée au préalable ! Là, plus tard tu as été instruit au catéchisme et là tu l’as même redistribué à plus jeunes. Ceci rappelé il me faut ajouter, pour être objectif et complet, que ta réflexion de l’âge adulte s’étant structurée tu t’es forgé une conception religieuse très sui generis :l’Ancien Testament est à rejeter, juste bon pour les tribus de “gentils”. J’aurais bien dû alors te poser la question: ”penses-tu ainsi, Marcel, encore appartenir à l’assemblée catholique romaine?”. En fait je ne m’y suis jamais risqué, observant que bon nombre de chrétiens qui se targuent “d’en être” gagneraient fort simplement à te copier en générosité, en respect de l’autre, en facilité à excuser, en cordialité d’accueil, en besoin de partage, en recherche de fraternité.

Mais limiter ta personnalité à cet aspect -même s’il continue à justifier mon interrogation et à provoquer mon admiration- serait trop réducteur. J’ai choisi de l’enserrer entre deux autres images. Elles sont toutes proches et plus charnelles et me paraissent te reconstituer, Marcel, tel que tu demeures dans notre mémoire collective. D’abord l’image du battant exigeant je la trouve dans les derniers sons encore un peu audibles de ta voix où -au travers de quels efforts volontaires !- tu m’as glissé: ”Michel, tu sais...c’est pas de la tarte !”. Ensuite l’image du rassembleur séduisant par l’esprit, c’est pratiquement dans le même temps, comme pour donner le change en concluant une ultime conférence imaginaire avec des médecins aussi virtuels dépassés par tes questions, ce ressort d’humour que tu trouves encore pour susurrer “je parle mal...mais, en plus, ma Femme est sourde !” C’est entre ces deux images contrastées mais complémentaires que je te situe, Marcel. Elles encadrent ton métier, ta famille, ta vie, en débordant même sur ta retraite.

La connaissance que j’ai de toi, je l’extrais de 45 ans de vie professionnelle aéronautique. Si j’en écarte les 10 premières années au service de l’Etat, si même j’en dégage ce que m’ont apporté les grandes occasions de vies familiales respectivement partagées (cette intimité qui, d’ailleurs, fera de toi mon parrain dans l’Ordre National du Mérite), si donc je n’en retiens que les 35 dernières années, ce sont 35 années à ton côté, chacun dans sa discipline, 35 années dans les mêmes sociétés aux raisons sociales évolutives, artisans des mêmes programmes, douloureux des mêmes déboires, savourant ensemble les mêmes réussites.

Comment ne pas sentir l’énergie qui t’anime quand, brutalement après les années de taupe à Bordeaux, la maladie t’empêche de les exploiter par l’ouverture à un concours. Qu’à cela ne tienne, rien ne t’arrête :il faut d’abord se soigner! Ainsi, remis sur pieds, le 17 avril 1947 tu es embauché au Bureau de calculs. Te voilà à la S.A.L. BREGUET à Vélizy. Tu t’y forges ton métier d’ingénieur. La voilure du BR. 2 Ponts t’occupe beaucoup. Moi, j’arriverai quelque dix années plus tard pour liquider avec AIR FRANCE le marché de ces avions...qui auront longuement mis à profit tes calculs d’efforts tranchants.

Je te connaîtrai ensuite à la coordination entre la Direction Technique et les Essais en Vol. Tu y seras à la tête de cette équipe de fonceurs qui ont fait du BR 1001 le détenteur, en l’époque, du record mondial de vitesse sur circuit fermé de 1000 Km; ce même BR 1001 qui, sous l’appellation de TAON, sortira vainqueur du concours NATO de 1957. Pour ma part, j’aurai charge de fermer, avec le STAé, le contrat de ce prototype.... sans autre suite.

Dans la nuit du 20 au 21 juin 1958, à côté des grands de l’époque MM G. RICARD et J. BARGE et du plus jeune P.E. JAILLARD qui perçait entre nous, j’aurai l’honneur de participer à l’élaboration du dossier BREGUET à déposer au concours NATO du Patrouilleur Maritime. Après le choix unanime du BR 1150 ATLANTIC tu me rejoindras sur ce programme, en charge de la coordination technique. Sur ce programme ATL 1, au delà des hommes et au travers des appellations successives S.A.L. BREGUET, BREGUET-AVIATION,AMD-B.A, tu t’en feras reconnaître s/Directeur d’abord, puis Directeur Technique après le départ de M. RICARD. Directeur Technique aux AMD-B.A., tu le seras -maîtrise d’oeuvre oblige- également à la S.E.C.B.AT (Société Européenne de Construction du Breguet ATlantic). Directeur Commercial aux AMD-B.A, Délégué à la SECBAT, j’en assumerai la gestion au travers de l’Europe sur tout le programme.

Ton énergie, ta volonté, ton contact des Responsables en place sont finalement récompensés: la France n’abandonne pas la Mission de Patrouille Maritime. Ainsi, Marcel, fais-tu naître l’ATL 2, fils de l’ATL 1 en formes géométriques mais dans une génération toute nouvelle de système d’armes. Directeur de Programme dès 1976, tu le chaperonneras jusqu’à ton départ en retraite le 30 mars 1990. Directeur commercial DASSAULT AVIATION, Délégué à la SECBAT productrice de la cellule ATL 2 j’en assumerai la gestion européenne jusqu’à ce que je parte à mon tour 9 mois plus tard que toi : la SECBAT avait déjà, à cette époque engrangé les marchés successifs de 22 avions sur les 28 du programme.

Ta position de s/Directeur Technique faisait de toi aux AMD-B.A le responsable du programme JAGUAR. Devenu Directeur Technique en 1972, tu l’étais aussi -en vertu des règles statutaires de partage franco-britannique- à la S.E.P.ECAT (Société Européenne de Production de l’avion Ecole de Combat et d’Appui Tactique). Directeur Commercial, Délégué à la SEPECAT j’ai, parallèlement à toi, négocié et géré l’ensemble du programme JAGUAR jusqu’à son terme.

Les deux facettes de battant exigeant et de rassembleur séduisant entre lesquelles j’ai résumé Marcel dans son métier me paraissent, Chère Simone, encadrer parfaitement la famille que tous deux avez fondée en 1947 (tiens, 1947 moi -ou plutôt nous- aussi !). Famille unie, solide et, au fil des difficultés capable de la tempérance qu’il faut pour sauvegarder l’amour des uns et des autres et garantir l’entente de tous. La rigueur, l’exigence, l’exemplarité mais aussi la gaité ne sont pas étrangères à l’épanouissement dans leur profession et dans leur être de Jean-Michel, de Jean-Fançois, de Marie-Hélène, de Marie-Claude, vos Enfants. Pas étrangères non plus à la joie de vos petits-enfants chaque fois qu’ils vous rejoignent à BREUILLET. Pourquoi (mais là sont seuls capables de répondre ceux d’entre nous qui ont fêté les 80 ans de Marcel et très précisément le 6 février 2005-car Marcel les a fêtés au moins 5 fois-), pourquoi “Théo”, alors l’unique arrière-petit-fils, “touille-t-il” avec tant d’ardeur le fond du grand chaudron de cuivre ? Réponse: parce qu’il sait déjà, lui, qu’il y a beaucoup de travail à faire ! Il y a 5 phases à accomplir pour réussir la “Recette de la Jouvence du Père Marcel”! Belle recette de terroir -de ce pays d’ici- pétrie de riante intimité familiale qu’on se passe de Parents à Enfants...!

Les mêmes facettes qui ont encadré ton métier et ta famille, les mêmes facettes, Marcel, ont encadré toute ta vie et débordé sur ta retraite. En activité c’était tout simple : dans le calendrier de l’année on réservait sur son agenda le 24 janvier fin d’après-midi. Marcel, chaque année fêtait son âge dans le groupement des bureaux autour du sien. Dieu sait comme le champagne sert la convivialité ! Qui ne se serait pas senti, après quelques années, comme un de ses amis ? Mais ce réseau d’amitié, qu’allait-il devenir, en 1990, Marcel partant en retraite ? sans doute rien d’autre qu’un rassemblement non structuré destiné à s’étioler... C’est là que j’ai souvenir du coup de fil que Marcel me passe en soirée du 19 novembre 1994, c’était un vendredi :”Dis donc, Michel, demain on fait notre déjeuner annuel..., si on fabriquait une Association. Tu peux nous faire quelque chose ?” Le lendemain notre déjeuner se baptisait Assemblée Générale et de mon projet elle faisait les statuts de l’association des “Amis des Avions Breguet”. En nous voyant aujourd’hui rassemblés autour de lui, auprès de sa famille et de son environnement de chaque jour, la question me hante : ce jour là, ne s’est-on pas mépris ? N’avons-nous pas plus réellement créé l’association des “Amis de Marcel Berjon”!

Marcel s’en est allé, passé sur l’autre rive. De là, que nous cries-tu ? Et Marcel de nous répondre “Continuez fidèlement ensemble, ne vous attristez pas de m’avoir perdu” et, Marcel, caustique, d’ajouter avec humour “soyez plutôt heureux de m’avoir connu !”

.... au revoir, Marcel,

après l’absoute donnée par le Prêtre .....

La célébration se termine, je reviens encore vers vous, amis, pour attirer votre attention.
Ecoutons ensemble ce que nous dit encore Marcel: Comme à chacune de nos séparations les “Trompettes d’Aïda” vont retentir.
Oui, c’est vrai, je le reconnais, c’est bien dans l’Ancien Testament qu’elles célèbrent une victoire. Mais une victoire qui met fin à une guerre et à ses atrocités et appelle à la joie de la paix désormais retrouvée: la paix, sans doute, qui m’attend à la maison du Père”

Tu as raison, ...à Dieu, Marcel,

Les Trompettes d’Aïda
marche triomphale

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Avant son éloge M. TAVERNIER avait salué la présence de MM Patrick PINGANAUD et Gérard PIERRON Directeurs à DASSAULT AVIATION, chargés ensemble de représenter la société aux obsèques de celui qui fut tout à la fois leur premier puis dernier patron.

Parlant en nom commun Mr PINGANAUD exprima en quelques mots simples et émus le souvenir que leur laissait ce patron bourru mais bienveillant, exigeant mais compréhensif et le respect qu’ils conserveraient de son exemple.

 

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