CV et ELOGE FUNEBRE DE PIERRE HARQUIN

 

Par André MAURIN, le 03 mai 2017, à St-Martin-du-Touch

Pierre, Pierrot ! On  l'appelait Pierrot, et pas besoin de dire son patronyme
Notre ami Pierrot, comme dans la chanson "prête-moi ta plume pour écrire un mot ", un mot ou une histoire, une histoire de 92 ans !
Mon ami Pierrot, il l'était : 3 affinités au moins, nous unissaient : l'aéronautique, l'ASIS dont je parlerai plus tard, et une foi chrétienne.
Ces dernières années, nous volions ensemble, partage d'une passion de l'air commune, d'émotions et occasion d'échanges, il m'a parlé de sa vie.

Pierre est né en 1924 à Souillac, dans le Lot, au sein d'une famille qu'on qualifierait de modeste. Pierre n'a vécu que quelques années à Souillac, avant que sa famille ne l'emmène vers une grande banlieue du sud de Paris. Ce ne fut pas une période heureuse de sa vie, car elle est endeuillée par le décès de son frère, qui l'a profondément affecté, et par des maladies très graves et fréquentes.
En 1939, c'est le début de la guerre, Pierre a 15 ans, ses parents le placent en apprentissage chez un menuisier qui fabrique entre autre des cercueils, et Pierre apprend à raboter le bois. A l'occasion, et bien que ça ne soit pas autorisé naturellement, il participe aux mises en bière, et il est content de toucher un pourboire de 5 Francs.

En 1943, 19 ans, il fuit son Patron qui veut l'envoyer travailler en Allemagne, et il se réfugie auprès de cousins qui sont dans les maquis du Lot et de Corrèze : un épisode l'a fortement marqué au début de juin 1944 quand il échappe de justesse à un détachement de la tristement célèbre Division « Das Reich », en route vers Tulle, où elle perpétra les exactions connues.

Après l'Armistice, Pierre entre dans l'Armée de l'Air française, et il est envoyé sur une base américaine en France, et là il vécut l'enchantement de son premier vol, dans un avion américain parti en longue mission d'observation sur le territoire.

Mais Pierre n'est pas resté longtemps dans l'Armée, où il n'était pas à l'aise, et il put se faire embaucher au CEV de Brétigny (CEV= centre d'essais en vol, c'est le centre officiel des essais en vol en France).

Son boulot, la machine outils, tours fraiseuses. Mais il ne veut pas travailler si près des avions sans s'en approcher plus, alors il postule pour une formation en mécanique des moteurs : ça lui a demandé un énorme effort de travail et d'application pour étudier ces notions toutes nouvelles pour lui.

D'autant qu'en parallèle, il s'est lancé dans le syndicalisme, avec toutes les vicissitudes qui s'y attachent, mais en s'appuyant sur la formation qu'il avait reçue à la JOC (jeunesse Ouvrière Chrétienne), formation dont les valeurs l'ont marqué pour la vie.

De temps en temps, on l'emmène en avion, et comme ça ne lui suffit pas, à 27 ans, il demande à apprendre le pilotage des avions. On l'envoie alors à l'école de St-Yan dont la formation sur des avions Stampe, est très prestigieuse par sa pédagogie, mais aussi par sa rigueur et sa sélectivité.

A partir de ce moment, Pierre ne cessera plus de voler, et pour aller encore plus loin et développer ses compétences, il postule pour « faire l'EPNER » (EPNER = école française des personnels techniques navigants d'essais en vol)

Un problème médical ne lui permet pas de devenir pilote d'essais, mais il reçoit la formation de mécanicien navigant d'essais, à une époque où on trouve des mécaniciens dans tous les cockpits ! C'est le début d'une double carrière en vol, soit comme mécanicien, soit comme pilote, voire instructeur, voire examinateur, selon les avions et les missions.

En 1963, il a 39 ans, et sa vie va encore assez brutalement changer, car l'avionneur Breguet a un besoin urgent de mécanicien navigant de compétence exceptionnelle pour les essais en vol de son prototype révolutionnaire Breguet 941. Cet avion d'une trentaine de tonnes était capable de décoller ou atterrir sur un terrain à peine plus grand qu'un terrain de foot (il y eut même un atterrissage mémorable dans la clairière de la forêt de Bouconne).

Cet avion a fortement marqué Pierre, parce qu'il fut le mécanicien de la plupart des vols d'essai et de mise au point de cet avion spectaculaire. Les médias souvent portent aux nues les pilotes des avions, mais il y a aussi dans l'avion des hommes comme Pierre qui veillent discrètement dans le noir au bon fonctionnement de mécaniques très complexes, comme dans cet avion.

Après l'épisode du Breguet 941, la carrière de Pierre s'est poursuivie aux Essais en Vol des entreprises fusionnées Dassault et Breguet, comme mécanicien mais aussi pilote ou copilote de toutes sortes d'avions militaires ou civils de la gamme des Falcon. Ici même à Toulouse, il a volé régulièrement sur les Alphajets qui sortaient d'usine ou sur Atlantique 2.

A cette activité professionnelle de Pierre, il faut ajouter son activité bénévole comme instructeur en Aéroclub. Son bilan aérien, c'est une carrière exceptionnelle de 60 ans dans cet univers, un nombre total d'heures de vol qui bout à bout représenteraient plus de 18 mois en responsabilité à divers titres à bord d'avions, plus de 200 élèves formés par sa patience, et une médaille qui reconnaît son parcours. Et j'ajouterai tout de même 2 vrais crashs, et un accident gravissime évité de justesse !

Le Breguet 941 volant à Toulouse, c'est à cause de lui que Pierre est venu s'installer ici à St Martin. Là, il ne pouvait pas se désintéresser du sort de ses concitoyens, et il s'est donc investi rapidement dans la vie du quartier en étant l'un des fondateurs de l'association de quartier ASIS (Association de Sauvegarde des Intérêts de St Martin). A cette époque ce quartier de Toulouse ressemblait encore à un village rural traversé par la route vers Colomiers et Auch. Pierre s'est démené au sein de l'Association pour obtenir des pouvoirs publics notamment un développement harmonieux de ce quartier. L'association vit toujours !

Enfin, j'ai connu Pierre comme chrétien, animé d'une foi bien ancrée, et assistant régulièrement aux cérémonies. Et il mettait les valeurs de l'Evangile auxquelles il adhérait en pratique par son engagement syndical, ou son assistance aux personnes en difficulté.

Que me disait Pierre au soir de sa vie ? Qu'il était le plus heureux des hommes, surtout en vol lors de nos dernières sorties ensemble. Même malade, il avait honte de son bonheur, lorsqu'il voyait autour de lui plus de souffrance et de malheur. Il s'excusait presque d'avoir été épanoui au travail, et il était gêné qu'un homme aussi simple que lui, sans diplôme prestigieux ait été admis à exercer de si hautes responsabilités, et pourtant, ce n'était que le fruit de son travail !

Quelle trace nous laisse-t-il ? Quand nous parlions d'aviation, et bien qu'il fût un technicien, il parlait peu des machines, mais plus sûrement des femmes et des hommes innombrables qu'il avait rencontrés au cours de sa vie, et exclusivement de ceux qui lui avaient fait du bien, les autres, c'était comme si il les avait oubliés, car il ne savait pas dénigrer !

Bien sûr, Pierre savait rouspéter, c'était le signe de sa bonne santé, qui faisait mieux ressortir ses qualités de cœur, amabilité, courtoisie, gentillesse, simplicité, mais aussi rigueur, compétence, ouverture, la liste serait trop longue !

Condoléances à Eric et Suzy et Merci à Pierre (applaudissements ?)

 

 

 

 

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