Cinquantenaire du décès de Louis BREGUET

Musée des Arts et Métiers, le 16 avril 2005

1 - Allocution de Louis-Jean BREGUET, aîné des petits-fils de Louis Breguet

 

Bienvenue à vous tous : cousines, cousins et amis de la famille :

Il y a cinquante ans, Louis Breguet nous quittait, et nous nous rassemblons aujourd'hui pour honorer sa mémoire.

Votre présence montre combien son souvenir est cher dans le cœur de ceux qui l'ont connu comme dans celui de ceux qui auraient souhaité le connaître.

Je voudrais aussi souhaiter la bienvenue à ceux de la grande famille aéronautique qui sont avec nous ce soir et, en particulier à trois anciens de la Société d'Aviation, Messieurs Jaillard, Pierrat et Tavernier, qui ont eu la chance de travailler avec grand père.

Bien sûr, nous n'oublions pas d'avoir une pensée pour tous ceux qui auraient dû être avec nous aujourd'hui, en particulier pour Paul, ledoyen de la famille, à qui nous souhaitons un prompt rétablissement.

Tout d'abord, je voudrais exprimer ma reconnaissance et mes remerciements les plus chaleureux à Monsieur Thoulouze, directeur du Musée des Arts et Métiers, et à ses collaborateurs, particulièrement Madame Deroche, qui accueillent notre rassemblement familial dans ce lieu prestigieux, gardien de notre patrimoine scientifique et qui abrite une formidable collection d'objets façonnés par nos aïeux au cours de cinq générations.

Nous voici réunis ce soir en famille, et ce que je trouve merveilleux, c'est que la jeune génération soit venue ici en si grand nombre. Louis Breguet aimait la jeunesse, et était resté, jusqu'à la fin de sa vie, très jeune de caractère.

D'ailleurs, c'est à 15 ans qu'il découvre sa vocation. Le professeur Charles Richet, grand ami de son père, homme de science passionné et éclectique, chez qui il est en vacances avec son frère Jacques, fait participer les deux garçons au lancement du haut d'une falaise d'un objet volant de sa conception. L'engin sans pilote parcourt 250 m. Un succès ! Nous sommes en 1895.

Depuis ce jour, les cahiers de l'élève Breguet se sont remplis de dessins de machines volantes qui vont ressembler de plus en plus à des aéroplanes...

Quelques années plus tard, après avoir épousé Nelly Girardet et avoir été reçu major à Sup. Elec., sa carrière semble toute tracée, reprendre la Maison d'Electricité créée par son père. Il part donc s'installer à Douai où vient le rejoindre son frère, Jacques à sa sortie de Polytechnique.

Le premier vol des frères Wright en 1903 créé un véritable choc. Louis ne pense plus qu'à une chose, voler.

Les deux frères aménagent en atelier un petit hangar au bord d'un champ de betteraves. Passionné de Jules Verne, Louis conçoit le Gyroplane en pensant à l'Albatros, le vaisseau de Robur le Conquérant qui s'élève verticalement dans les airs. En 1907, c'est le premier vol historique d'un hélicoptère avec son pilote à bord : une minute à 60 cm du sol !

Mais les moteurs ne sont pas assez puissants ; Louis abandonne provisoirement les voilures tournantes et se lance dans la construction d'aéroplanes.

Il reviendra à ses premières amours, le vol vertical, en 1936, avec son " Gyroplane laboratoire " qui établit les records du monde d'altitude et de vitesse.

Comment ne pas être émus en nous trouvant ce soir sous cet appareil fabriqué par Louis Breguet en 1911 : son premier succès commercial et quel succès ! Il remporte le concours militaire de Reims en 1910 et reçoit des commandes de l'armée et de plusieurs puissances étrangères. Puis il établit un record du monde : celui du nombre de passagers transportés. Regardez le bien ; essayez d'imaginer cet appareil en vol avec Louis, son pilote, et 11 passagers entassés ou empilés dans (ou sur) la carlingue ! (évidemment il ne les avait pas choisis trop lourds) ; un vol de 5 km en 5 minutes.

La guerre éclate le 3 août 1914. Le sergent-pilote Breguet est affecté au camp retranché de Paris sous le commandement du général Galliéni. Et c'est sur cet avion que le 2 septembre 1914 il effectue un vol de reconnaissance historique avec le lieutenant Watteau comme observateur, qui découvre que l'armée allemande a changé de direction et s'apprête à contourner Paris. Ce qui décide le général Galliéni à l'attaquer sur la Marne en transportant ses troupes dans les taxis parisiens.

La guerre fait tourner les usines à plein régime et Louis va réaliser le Breguet 14, un avion tout métallique dont la conception possède plusieurs années d'avance sur ses concurrents... Immense réussite ; plus de 8000 appareils construits équipent les aviations militaires de nombreux pays, dont les USA.

La guerre finie, la carrière civile du Br 14 en fera un avion de légende : il équipe l'Aéropostale, piloté par Mermoz, Saint Exupéry, Guillaumet !

Louis, qui est l'un des premiers à pressentir l'avenir de l'aviation commerciale, créé en 1919 avec son frère Jacques la " Compagnie des Messageries Aériennes ", qui regroupée ultérieurement avec d'autres sociétés donnera naissance à la compagnie nationale Air France.

A la fin des années 20, la renommée de Louis Breguet est au zénith. Le Br 19 est un grand succès qui permet la réalisation des grands raids vers la Chine et le Japon. Et, apothéose, pour répondre à Lindberg, Costes et Bellonte vont traverser l'Atlantique de Paris à New York, le sens des vents contraires, sur le Point d'Interrogation, un Br 19 modifié.

Dès les années 20, Louis rêve de gros avions de transport. Son objectif, rendre l'avion moins cher que le rail... rendre le transport aérien populaire. Il va jouer un rôle de leader dans le développement de cette grande innovation que constitue " l'aviation commerciale ".

Imaginez le chemin parcouru en moins de 40 ans depuis ce " type III " de 1911 qui réussit à enlever 11 passagers et le " Deux Ponts " de 1950 ( 54 tonnes, 120 passagers à 400 km/h) !

Avant tout, Louis Breguet est un amoureux du travail bien fait. C'est un créateur au raisonnement rigoureux, un inventeur infatigable, l'esprit en éveil, toujours à l'affût d'une idée, d'une intuition... qui lui fait sortir sa règle à calculs dans les endroits les plus insolites.

Il n'est pas surprenant que son sport favori soit la voile qu'il pratique avec ferveur, car, outre l'aspect sportif, le bateau est pour lui une source inépuisable de recherche aéro et hydrodynamique. Il dessine ses bateaux, les essaie en soufflerie et invente toute sorte de dispositifs.

Sur son 8 métres " Namoussa ", il décroche la médaille de bronze aux jeux olympiques de 1924 et quelques années plus tard il est le premier non britannique à gagner la King's Cup sur son 12 mètres " Doris ".

C'est un marin exemplaire, qui ne se départit jamais de son calme quel que soit le temps et même quelles que soient les fausses manoeuvres commises par ses équipiers. Kikou et moi, qui avons souvent régaté avec lui, comme tous ceux qui sont montés à son bord en gardent un souvenir inoubliable.

Pour nous ses petits enfants, c'était un grand père fascinant, un grand père de legende, mais d'une légende accessible. Nous admirions sa prestance, son élégance et son calme en toutes circonstances. Bien que toujours généreux et bienveillant, il nous intimidait parfois parce que la pudeur de ses sentiments retenait ses élans affectifs. Mais il se montrait toujours jeune de caractère, toujours attentif à l'intérêt que les enfants portent à la science. Quand il croisait un garçon de 11-12 ans, il lui demandait immanquablement s'il savait lui démontrer que la " somme des angles d'un triangle fait 180 degrés ".

Nous savions qu'il était indulgent pour notre ignorance, mais qu'il détestait deux choses : la paresse et la vanité.

Il possédait une faculté plutôt rare chez les scientifiques : la capacité d'expliquer clairement quelque chose de très compliqué en employant des termes simples et en vous donnant l'impression que vous aviez compris. Et nous nous demandions comment il faisait pour avoir toujours un moment disponible pour nous écouter ?

 Je suis heureux ce soir de pouvoir honorer sa mémoire, car je garde de lui le souvenir très cher d'un grand père d'exception.

 

 

 

La commémoration dans la chapelle du Musée des Arts et Métiers 


 

2 - Texte remis à LJ.Breguet par PE.JAILLARD

 

SOUVENIR DE LOUIS BREGUET AUX ETATS UNIS EN 1952

 

Le début de ma carrière a été l'occasion d'une expérience exceptionnelle : une semaine au contact direct de M. Louis Breguet.

Sorti de Sup'Aéro en 1950, j'étais Ingénieur navigant d'essai à Brétigny . J'avais obtenu une bourse "Fullbright" d'un an pour le MIT, mais n'avais pas les moyens d'en assumer immédiatement les frais. Au début de 1951 j'apprends que le représentant de Breguet aux Etats Unis doit rentrer en France au cours du dernier trimestre de cette année. Des amis des Services Officiels m'ont mis en rapport avec Pierre Breguet, puis avec M. Louis Breguet. Il semblait ne pas y avoir dans la maison de candidat prêt à un départ aussi rapide. L'affaire fut arrangée dans un grand esprit de compréhension: Je passerais la fin de 1951 et l'année 1952 comme responsable du Bureau Breguet de New York pour conclure et gérer les achats en Amérique pour les Deux Ponts, puis je passerais trois trimestres à Cambridge pour conduire mes études de Master aéronautique, tout en assurant le suivi de la fin des contrats Deux Ponts. Le retour était prévu pour septembre 1953.

Je suis donc entré chez Breguet le 15 Juillet 1951 et suis parti pour les Etats Unis le 20 Septembre 1951.

° ° °

J'ai malheureusement laissé mes archives de l'époque à la Société qui n'en a pas fait bonne conservation, si bien que les évènements évoqués ici ne sont pas étayés par des références précises, en particulier les dates. Mais les circonstances de mes tâches au service de M. Louis Breguet m'ont laissé un souvenir est très vif.

En novembre 1951 j'assume seul le bureau "Breguet Aircraft", 441 Lexington Ave. à New York. Peu de temps après, m'est annoncée la venue prochaine de M. Louis Breguet. Il devait recevoir le prix Alexander Klemming pour les hélicoptères, et faire une intervention lors d'une Conférence de la Société Américaine des Ingénieurs de l'Aéronautique qui discutaient de l'avenir du transport aérien et des matériels susceptibles d'y répondre.

A l'époque, M. Breguet était un fervent avocat du gros avion de transport à turboprop contre le jet pur dont le Comet était le précurseur. M. Breguet plaidait, à juste titre, pour une différentielle de vitesse peu significative, même sur les vols transatlantiques et une considérable économie de frais de fonctionnement. (On sait que, tandis que le monde occidental optait pour le jet pur, certes amélioré par le turbo-fan, les Russes ont largement utilisé et utilisent encore avec succès le turboprop pour les avions de transport, même les plus gros.)

Donc, M. Louis Breguet voulait faire une communication sur ce sujet Je devais la lire, M. Breguet ne souhaitant pas intervenir en Anglais. Nous avons donc passé pas mal de temps au bureau de Lexington à préparer cet exposé. Il était, comme il se doit, ouvert par une introduction assez protocolaire, exprimant saluts et remerciements aux honorables interlocuteurs.

 

Notre texte bien au point, nous nous sommes donc rendus au lieu de la conférence. Nous savons maintenant ce qu'est la décontraction anglo-saxonne dans ce genre, si sérieux soit-il. Les intervenants américains n'y manquèrent pas, ouvrant leur speech par des remarques humoristiques. Et voici que M. Breguet se penche vers moi, qui étais déjà assez ému de parler pour le compte d'un tel homme devant un tel aréopage. Il me dit: " Il faut les faire rire." On imagine le choc ...

Eh bien, ça a marché: j'ai commencé par: "Lorsqu'en 1907, j'ai fait voler pour la première fois une machine à voilure tournante, . . . ". J'avais 26 ans. Cela a fait rire. M. Breguet était très content. Et moi donc !

L'intervention se déroula sans heurt, suivie d'une discussion très intéressante. A cette occasion, j'ai découvert que M. Breguet était aussi très connu en Amérique pour une formule exprimant le rayon d'action des avions et d'ailleurs dénommée "formule de Breguet". Jamais, en trois années de Sup Aéro, on ne me l'avait enseignée. Nul n'est prophète en son pays!

Après cette phase de bravoure, la venue de M. Breguet me valut quelques autres expériences mémorables: par exemple, un vol en hélicoptère avec M. Louis Breguet et Igor Sikorsky à partir de Hartford. On juge de ma fierté d'avoir accompagné ces personnages historiques.

Autre souvenir qui ne surprendra personne: M. Louis Breguet ne pouvait passer par les Etats Unis sans faire quelques achats pour son yacht qu'il passait périodiquement dans la soufflerie de Vélizy. Contact fut pris avec la firme Rathsey-Lapthom à Long Island. Le trajet fut un peu laborieux mais la Mecque de la voile fut découverte. Je n'ai qu'un souvenir imprécis de la discussion relative à la forme, la taille, les tissus, les porosités des voiles; car si mon vocabulaire aéronautique était fiable, mes connaissances en voile étaient tout à fait lamentables. Enfin, l'affaire fut conclue les voiles furent livrées et, je pense, satisfaisantes.

 

° ° °

Voilà quelques souvenirs d'une semaine avec Louis Breguet Je pense que j'ai eu une chance exceptionnelle d'entrer dans ce métier à une époque où l'on pouvait encore travailler avec les pionniers qui ont fondé notre industrie.

 

Je garde de M. Louis Breguet l'image d'un homme possédé par cette passion de l'aérodynamique qui se révélait aussi bien dans ses travaux scientifiques sur les aéronefs que dans sa rationalisation du calcul des voiles de bateaux. Souvenir d'un homme affable, d'une grande courtoisie, d'une autorité et d'un rayonnement reconnus et acclamés dans le monde entier et en particulier aux Etats Unis.

° ° °

Mon cycle achevé au MIT, je suis rentré en France. Et je suis resté chez Breguet où j'ai fait toute ma carrière avec passion et je l'espère profit pour notre industrie. L'élan donné par les pionniers comme Louis Breguet n'est pas près de faiblir.

 

 

 3 - Souvenirs de Jean PIERRAT

Jean PIERRAT est entré au siège rue G.Bizet en juin 1946 et y est resté jusqu'en 1951, date à laquelle il a participé aux Essais en Vol en tant qu'ingénieur d'essais. Il a donc pu évoquer de nombreux souvenirs, sur toutes les activités de Louis BREGUET, vécues au jour le jour, pendant toute cette période.

 

 

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